La Belgique a 175 ans … de problèmes linguistiques.
Il est parfois difficile d’accepter l’Histoire. Elle est souvent révoltante. Essayer d’en comprendre les tournants me paraît indispensable pour comprendre notre présent.
Allez ... j'y vais, je me lance
Lorsque Bonaparte prend le pouvoir en 1799, notre territoire est intégré à l’Empire Français. La politique de francisation que Napoléon mène chez nous réussit très bien au sein de la bourgeoisie mais c’est tout autre chose en ce qui concerne le peuple : chacun, selon sa région, continue à parler son dialecte :
- picard, wallon, gaumais, … dans le sud
- flamand, limbourgeois, anversois, … dans le nord
Après la chute de Napoléon à Waterloo en 1815, nous voilà … Hollandais et Guillaume Ier d’Orange règne sur nous. Il n’était pas très aimé dans le sud des Pays-Bas (l’actuelle Belgique). En effet, s’il est vrai qu’il relance le commerce et l’industrie, il y a de nombreux point sur lesquels on n’est pas d’accord :
- Il est protestant et entend supprimer le clergé
- Il ne veut pas d’un gouvernement composé de ministres responsables et mène sa politique par arrêtés royaux.
- Il décide de censurer la presse.
Et cela … 40 ans APRES la Révolution Française ! ! !
LA REVOLUTION DE 1830Le ton monte, le vase déborde et le 23 septembre 1830, la révolution éclate à Bruxelles .
L’indépendance de la Belgique est proclamée et la constitution est approuvée le 7 février 1831 par une majorité provenant de la bourgeoisie francophone. Celle-ci, pour se détacher définitivement de Guillaume Ier, choisit le français comme seule langue officielle. En outre, ces bourgeois étaient convaincus qu'il y avait une majorité de francophones en Belgique. Pourtant … un recensement révélera que les Flamands étaient majoritaires parmi la population.
Quand Léopold Ier monte sur le trône le 21 juillet 1831, le mal est déjà fait !
Bruxelles qui était bilingue depuis que les ducs de Bourgogne et leurs successeurs Habsbourg en avaient fait la capitale, commença à se franciser de plus en plus.
1846 – 1848 : la dernière grande famine européenne décime la population. En ces temps de crise, les Flamands commencent à rejeter la langue des patrons. Pour entreprendre des études, même secondaires, il faut maîtriser le français. Des militaires sont sanctionnés pour ne pas avoir exécuté correctement des ordres donnés dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Des gens étaient condamnés sans savoir vraiment de quoi on les accusait ...
Grâce au suffrage universel (1893), les Flamands parviennent à revendiquer le bilinguisme. Les textes et les inscriptions officiels sont bilingues partout dans le pays à partir de 1898.
Malheureusement, ce bilinguisme ne pouvait se faire du jour au lendemain. Les officiers parlaient tellement mal le néerlandais, qu’il était préférable de les laisser s’exprimer en français pour avoir une chance de les comprendre !
Quand un francophone allait en Flandre, il trouvait toujours quelqu’un capable de lui répondre en français. Par contre, le Flamand qui allait travailler dans les mines ou les usines sidérurgiques en Wallonie devait s’intégrer et apprendre le français. Et en outre, leurs maladresses linguistiques en faisaient les victimes de quolibets.
Le bilinguisme apparut donc aux Flamands comme un marché de dupes …
C’est dans cet état d’esprit que la Belgique entra dans le XXème siècle.
En 1912, Jules Destrée écrit sa fameuse « Lettre au Roi » sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre. Il pense que l’union de deux peuples indépendants et libres vaut mieux qu’une unité imposée
- Citation :
- Une Belgique faite de l'union de deux peuples indépendants et libres, accordés précisément à cause de cette indépendance réciproque, ne serait-elle pas un Etat infiniment plus robuste qu'une Belgique dont la moitié se croirait opprimée par l'autre moitié ?
A partir de ce moment, les revendications flamandes débordent du cadre purement linguistique. Ils veulent obtenir une autonomie, au moins culturelle.
En 1914, l'armée belge, sous les ordres d'Albert Ier, n'est pas de taille à affronter l'ennemi. Elle arrête néanmoins les Allemands devant l'Yser. La Belgique payera un lourd tribut lors de la première guerre mondiale. La région du front de l'Yser est particulièrement touchée.
Les années qui suivent sont difficiles. Le malaise économique est international. Le danger vient encore de l'Allemagne, où Hitler a pris le pouvoir. Cette fois encore, l'Allemagne envahit la Belgique, en mai 1940.
Dans l'espoir insensé d'obtenir l'autonomie flamande, les Flamands collaborèrent avec l'ennemi. Il y avait deux tendances dans la collaboration flamande :
- Le VNV (Vlaamse Nationaal Verbond) qui voulait une Flandre «indépendante » avec eux à la tête, sous la tutelle des Allemands
- le DeVlag (Duitse Vlaamse arbeids gemeenschap) qui voulait annexer la Flandre pour en faire une province allemande.
Après la guerre 40-45, la Belgique traversa sa plus grave crise politique. La "Question Royale" divisa le pays ... nous étions à deux doigts de la guerre civile. La passivité et la complaisance de Léopold III pour l'occupant nazi étaient au cœur de cette question.
Baudouin succède à son père le 11 août 1950. Lors de sa prestation de serment au parlement, Julien Lahaut crie «Vive la République» … il sera assassiné une semaine plus tard.
LA FRONTIERE LINGUISTIQUEJusqu’en 1930, la frontière linguistique était refixée tous les 10 ans : les habitants de notre pays devaient déclarer leur langue maternelle lors d'un recensement qui avait lieu tous les 10 ans. Jusqu’au jour où les Flamands refusèrent d’organiser le recensement tant que le volet linguistique n’en aurait pas été retiré. Ils se sentaient menacés par le fait que les Francophones agrandissaient leur territoire de quelques kilomètres tous les dix ans. Il est vrai qu'en périphérie bruxelloise, de plus en plus de commune devenaient francophones.
Une frontière linguistique définitive fut votée en 1961 (après 30 ans de discussions) : 4 provinces flamandes, 4 provinces wallonnes et 1 province bilingue avec la capitale.
En périphérie bruxelloise le sort des six communes à facilités ne fut fixé qu'en 1970, quand débuta le long processus (23 ans) de fédéralisation de la Belgique.
Lors de la réforme de 1980, deux Régions voient le jour: la Région flamande et la Région wallonne. Celles-ci disposent d'un Conseil et d'un Gouvernement.
Il est à noter qu'en Flandre, dès l'origine, le Gouvernement et le Conseil de la Région flamande ont fusionné avec le Gouvernement et le Conseil de la Communauté flamande. En Flandre, il n'y a donc qu'un seul Gouvernement et un seul Conseil.
Lors de la troisième réforme de l'État, en 1988-1989, c'est la Région de Bruxelles-Capitale qui prend forme. Elle est dotée d'institutions, comme les deux autres Régions.
C'est seulement en 1993, avec la quatrième réforme de l'État, que l'État belge devient un État fédéral à part entière : les Communautés et les Régions, mises en place lors des réformes précédentes, acquièrent toutes leurs compétences.
Nos livres d'Histoire ont beau nous prétendre que la Belgique à 175 ans ... le pays dans lequel nous vivons aujourd'hui n'existe que depuis 12 ans. C'est à nous d'en écrire l'histoire, comme nous l'avons fait tous ensemble en octobre 1996 lors de la marche blanche. Ce jour là, le peuple belge, soudé et pacifique, faisait sa vraie révolution.
- Citation :
- de Anne Morelli, professeur de critique historique à l'ULB :
Les représentants du nationalisme wallon sont tout aussi odieux que les flamingants. Je pense par exemple à Jules Destrée. En Wallonie, on lui a dédié de nombreuses rues et statues, un institut Jules Destrée. Mais quand on étudie son histoire, on découvre un raciste, antisémite, misogyne, sympathisant de l'Italie fasciste... Il n'a vraiment rien pour plaire. Et c'est justement lui que le nationalisme wallon choisit de mettre en avant. Il est vrai que tout ça est moins inquiétant que ce que nous voyons au nord du pays, car ce n'est pas soutenu par une frange importante de la population. Lorsque le ministre Van Cauwenberghe a proposé de rendre bilingues les panneaux de signalisation en Wallonie, je croyais, dans mon innocence, qu'on allait indiquer «Mons/Bergen» afin que les gens ne se perdent pas. Mais non, c'est «Charleroi/Charlerwé»: du bilinguisme français-wallon! Pour l'instant, le nationalisme wallon n'est pas aussi virulent que le flamand. Mais comme n'importe quel nationalisme, il pourrait un jour devenir dangereux.