26 octobre 1914 -
LE CHAMP DE BATAILLE DE l’Yser est mis sous eaux.
«Noyer le Prussien comme un rat"
Les Allemands avancent sur l'Yser. Jusqu'à ce que les Belges inondent le champ de bataille. Qui est le sauveur de la patrie?
....Comme souvent, le succès a plusieurs pères.
Les stratèges de comptoir en Flandre ne peuvent pas s’empêcher d’en parler : "Pourquoi se noient-ils pas le Prussien comme un rat? Pourquoi ne lâchent ils pas les eaux?
Fin d’octobre, les Allemands sont sur l'Yser tandis que l'armée belge tient désespérément derrière la digue du chemin de fer Nieuport-Dixmude. Les planificateurs de l'état-major pensent que le seul salut possible est l’inondation contrôlée du polder entre le chemin de fer et l’Yser. La région du fleuve se situe trois à cinq mètres en dessous du niveau de marée.
Mais entretemps, le personnel expérimenté du service d’écluses a été évacués vers la France. Heureusement, les militaires découvrent à Furnes Karel Cogge, depuis trente ans surveillant pour la « Polder Noord Watering Veurne» qui gère le niveau des eaux jusqu’à Furnes. Cogge est à moitié analphabète, mais il connait comme sa poche le réseau complexe des écluses. Il va enlever immédiatement leurs illusions aux colonels ; il n'a aucun sens de tirer de loin sur les écluses pour les démolir car les positions belges seront également noyées parce que le réservoir prévu à des fuites. Il faudra d’abord colmater les 23 conduits et passages qui passent sous le remblai du chemin de fer. Les sapeurs- pontonniers feront la besogne et finiront à la fin par ne plus pouvoir voir un sac de sable.
Un robinet qui fuit.
Cogge a déjà 59 ans et n’est plus très ingambe ; il a de l'asthme et une bronchite chronique. Cela ne l'empêche pas, la nuit du 26 octobre, de s’en aller ouvrir l’écluse du « Kattesas ». Mais cette écluse n’alimente qu’à peine le polder et l'inondation ressemble plus à un robinet qui fuit qu’à autre chose. C’est seulement lorsque l’écluse du « Veurne Ambacht» située dans le no man’s land entre les lignes est ouverte trois jours plus tard que l'eau de mer s’engouffre dans les polders.
Les Allemands ne comprennent pas ce qui leur arrive; selon leurs cartes d'état-major, les polders sont au-dessus du niveau de la mer.Bientôt, ils pataugent dans l'eau jusqu'aux genoux. L'inondation pénètre dans les terres sur une distance de 35 kilomètres et sur une largeur de cinq. L'offensive allemande s’enlise dans la boue.
Mais le vieux Cogge n’a rien à voir avec cette opération ; c’est l'œuvre d'un aventurier plus jeune de huit ans, Hendrik Geeraert, un marinier au chômage de Nieuport, père divorcé de huit enfants et un ivrogne par-dessus le marché. Pas exactement du bois dont on fait un sauveur de la patrie. Geeraert va, quatre nuits de suite, ouvrir les écluses et enlever les batardeaux loin dans l'arrière-pays.
Le grand héros.
Au début, c’est Karel Cogge qui est considéré comme le grand héros de l'inondation. Le 4 novembre 1914, immédiatement après la fin de la bataille de l'Yser, il reçoit des mains du roi Albert la Croix de Chevalier de l'Ordre de Léopold. Après la guerre, il a été promu au grade de chef d’écluses et quand il prend sa retraite, il obtient en 1922 une pension de l'Etat de 3000 francs or. Hélas, l’homme, malade, meurt un mois plus tard et son corps est exposé dans l'Hôtel de Ville de Furnes. Plus tard, il sera honoré d’un nom de rue et par un buste en bronze dans sa ville natale.
La renommée de Cogge est alors déjà éclipsée pendant un certain temps par celle de Hendrik Geeraert. Toute la guerre, « le père Henri » est resté actif dans le bataillon de génie qui contrôle les digues et les écluses. Et quand le populaire farceur se fracture deux côtes dans un accident en 1915, il reçoit même à l'hôpital la visite de la Reine Elizabeth. Après la guerre, le tourisme des champs de bataille s’épanouit et le chômeur Geeraert se loue comme guide et attraction pour les riches touristes qui visitent les régions dévastées. La boisson détruit non seulement son corps mais aussi son esprit. Au début de 1924, Geeraert, " grand ennemi des verres pleins et vides», est interné pour la première fois dans un établissement psychiatrique à Bruges. Il meurt en 1925, il n’a encore 62 ans. Couché sur son lit de mort, il reçoit la croix de Chevalier de l'Ordre de Léopold et est honoré d’un enterrement avec les honneurs militaires.
Mythe
Le mythe devient bientôt plus grand que l'homme lui-même. Geeraert est salué plus tard dans les écrits patriotiques du titre de «garde-écluse honoraire», de «héros des écluses" et "sauveur de l'armée» : ça n’arrête pas. Le point culminant de sa célébrité arrive en 1950 quand son image orne les nouveaux billets de mille francs avec sur l’autre face, le roi Albert. A Furnes, des protestations violentes éclatent : « et notre Cogge alors? ». Une petite guerre tribale menace dans le Westhoek !. Avec la disparition du billet de banque, Geeraert tombe dans l'oubli. L'histoire officielle se concentre principalement sur le rôle de Cogge. L'ivrogne Geeraert a trop l’allure d'un paria de la société. Même si c’est lui qui a été l’homme à la base de la grande inondation sur le terrain. Le « rat d'eau » n’avait apparemment pas beaucoup d‘intelligence mais il était courageux.
GILBERT ROOX -
traduit d'un article du journal De Standaard du 25-10-2014