Le Congo est devenu belge parce que Léopold II voulait une colonie pour la Belgique et que pour étudier la géographie et les possibilités de la région, il s’était assuré les services de l’explorateur-aventurier anglo-américain, Henry Morton Stanley. Ce dernier était devenu célèbre de par sa rencontre à Ujiji au cœur de l’Afrique avec le Dr. Livingstone, rencontre qui fera bientôt partie de la légende du continent africain.
Ujiji, aujourd'hui dans la banlieue tanzanienne de Kigoma, sur la rive est du lac Tanganyika n’a une signification particulière que parce que c’est là que le 10 Novembre 1871, Stanley a retrouvé le missionnaire écossais David Livingstone. C’est à cet endroit qu’il a prononcé les mots devenus légendaires : « Dr. Livingstone, I presume ? ». C’était bien évidemment Livingstone puisque celui-ci était le seul homme blanc qu’il avait une chance de rencontrer sur des centaines de kilomètres à la ronde.
Livingstone, médecin écossais et missionnaire protestant était en Afrique dans le but de convertir au christianisme les indigènes. Il n'aura aucun succès dans le commerce des âmes malgré les efforts déployés et c’est comme explorateur qu’il sera finalement reconnu. C’est lui qui a, entre-autres, donner leur nom aux chutes du Zambèze qu’il baptise ‘Chutes Victoria’ et il a recherché sans succès les sources du Nil en déviant trop vers l'ouest dans sa marche et entrant ainsi dans le système hydrographique du fleuve Congo.
Livingstone se dévoua aussi à la lutte contre la traite des Noirs complètement aux mains des marchands d'esclaves arabes. Ironie du sort, pour ses expéditions, il devait compter la plupart du temps sur le soutien logistique des marchands d'esclaves qui avaient construit une vaste infrastructure pour leur commerce.
Ce fut le cas lors de sa dernière expédition à travers l'Afrique qui débuta depuis Zanzibar au début de 1866. Il n’y a connu que des revers ; pratiquement tous les porteurs qu’il avait engagés l’ont laissé tomber en route. Les approvisionnements, les médicaments ont été volés et il attrapa toutes sortes de maladies. Le choléra, une pneumonie et des ulcères aux pieds lui rendirent le voyage de plus en plus difficile jusqu'à ce qu’il échoue, réduit à l’état de squelette, à Ujiji, un comptoir fondé par les Arabes.
En chemin, Livingstone avaient envoyé des dizaines de messages au consul britannique John Kirk à Zanzibar mais seulement l'un d'entre eux atteignit sa destination. On finit par croire que cela avait mal tourné pour le missionnaire-explorateur ; personne n'ayant plus entendu parler de lui depuis plus de cinq ans.
Livingstone sillonnait l'Afrique centrale depuis le milieu du XIXe siècle et avait fait la relation de ses expéditions dans des livres qui eurent un énorme succès commercial. Ses récits de voyages dans la féroce et mystérieuse Afrique avec sa culture barbare, ses fièvres et ses cannibales, fascinaient alors un large public.
Dans la presse occidentale, sa disparition était devenue le mystère n°1 et James Gordon Bennett Jr du New York Herald décida d’envoyer à sa recherche son journaliste vedette H.M. Stanley. Il voyait dans le cas Livingstone un sujet idéal pour le type de journalisme qu'il avait à l'esprit : sensationnel et lucratif.
Stanley partit donc en Afrique afin de retrouver Livingstone, avec des moyens quasi illimités pour mener à bien sa tâche.
Après plusieurs mois de recherches et au vu des renseignements arrivés à sa connaissance, Stanley avait appris qu’un vieil homme malade « avec des poils blancs sur sa face » séjournait à Ujiji, à une semaine de marche de l’endroit où la nouvelle lui parvint. Avant d’y arriver, le 10 Novembre 1871, Stanley fait un brin de toilette et c’est revêtu de ses meilleurs vêtements qu’il atteint son but. Prévenu de son arrivée, le vieil homme l'attendait.
En prévision de l’évènement, Stanley avait emporté une bouteille de champagne et les deux hommes lui font honneur.
Ils vont encore sillonner ensemble la région pendant quelques mois avant que Stanley ne s’en retourne à Zanzibar. Livingstone, vieilli et fatigué, a refusé de le suivre en Angleterre et il va mourir le 1er mai 1873 dans la région des lacs, à l'âge de 60 ans.
Stanley a eu sa primeur, bien qu'il ait dû attendre plus d'un mois avant qu’à Tabora, à mi-chemin vers Zanzibar, il puisse enfin télégraphier son premier article au New York Herald.
Grâce à cette expédition et à son retentissement journalistique, Stanley est devenu quasi instantanément une légende dans le monde entier, au même titre que Livingstone.
L'importance symbolique de cette réunion à Ujiji peut difficilement être sous-estimée. Ce qui, à première vue, ressemble à une anecdote, montre comment et grâce au développement des médias un culte des célébrités a immédiatement pris forme. Culte qui, comme il se démontrera bientôt, apprêtera l'opinion publique pour de nombreuses aventures coloniales.
Car ce n’était pas que le sensationnel et l'aventure qui attiraient l'attention des dirigeants européens. A cette époque, l’Afrique centrale était encore pratiquement inconnue et les puissances européennes supputaient les profits qu’elles pourraient tirer de l’exploitation de cet énorme territoire. L’Angleterre, la France, l’Allemagne, … et même le roi des Belges Léopold II étaient sur les rangs pour se tailler des colonies aussi vastes que possible. A l'ouest, les Portugais avaient déjà colonisés ce qui est maintenant l'Angola alors qu’à l’est Zanzibar, aujourd’hui en Tanzanie, était le principal port d'entrée sur le continent.
Les Occidentaux devaient disputer cette immense région aux Arabes depuis très longtemps sur place et qui y avaient organisé énorme commerce d'esclaves noirs très lucratif.
Léopold, qui voulait une colonie pour son pays, avait eu son attention attirée sur l’Afrique centrale par les livres de Livingstone. Il réussit à s’assurer les services de Stanley soi-disant pour cartographier les zones encore inconnues du centre de l’Afrique. En réalité, avec objectif principal de prendre possession en son nom d’un maximum de territoires.
Après de multiples péripéties, ces efforts déboucheront sur la création de l’Etat Indépendant de Congo et Léopold y exercera une souveraineté de fait de 1885 à 1908 avant que son état ne devienne en 1908 colonie de la Belgique presque contre la volonté du gouvernement.
« Dr. Livingstone, je présume ? », la formule sonne très britannique à nos oreilles, elle nous semble bien distinguée pour l’endroit et la circonstance mais pour des ‘Britishs ’, elle est tout à fait normale. N’oublions pourtant pas que c’est Stanley lui-même qui les a consignés dans le récit (1) qu’il a laissé de la rencontre. On peut évidemment penser que la rencontre a été beaucoup moins formaliste en réalité !
A la fin de sa vie, on a fait remarquer à Stanley qu’il n’avait pu vraiment prononcé cette phrase. Pensif, il resta silencieux un moment puis répondit: « Si fait, je n’avais pas trouvé autre chose à dire »
Dans son livre relatant son expédition, une gravure montre comment les deux hommes, très civilement, soulèvent légèrement leurs coiffures dans un salut courtois, Stanley suivi de ses compagnons et ses porteurs ; Livingstone par les marchands arabes qui l’hébergeaient.
Sources :
(1) : Comment j’ai retrouvé Livingstone – H.M. Stanley - Librairie Hachette - 1876.
Congo. Mythes et réalités – Jean Stengers – Editions Racine -2007